Revue de presse - Gavroche

12 Août

Revue de presse – Gavroche

Pierre-Yves Clais : un Breton dans la jungle de Ratanakiri

Quand, dans sa jeunesse, on a eu pour héros Du Guesclin, Napoléon et Patton ; pour valeurs morales celles des chevaliers sans peur et sans reproche ; pour compagnons de lecture Croc Blanc, Ivanohé, Hougron et Lartéguy, et que longtemps on a pensé être un Apache Chiricahua enlevé à sa famille, ce n’est pas dans un bureau qu’on rêve de faire sa vie, mais loin, très loin au bout du monde.
Parce qu’il est tenace et qu’il a gardé intacts ses enthousiasmes d’enfant, Pierre-Yves Clais, un Breton de 36 ans originaire d’une vieille famille de Tréguier-Plancouët, est parvenu à réaliser son rêve. Il s’est expatrié au Cambodge, à Ban Lung, un village de la province du Ratanakiri, une région réputée inaccessible, peuplée de minorités ethniques, où Pol Pot forma son armée de Khmers rouges. C’est là, dans une grande maison en teck, transformée en guest-house, qu’il a établi son camp de base pour les trekkings qu’il organise dans la jungle, le long de la piste Ho Chi Minh.
Son parcours n’a pas été simple. Après son bac A2 (18 en Français, 18 en philo, un don littéraire qu’il tient de sa mère agrégée et docteur ès lettres), il s’en est allé sur les bancs de la fac, mais sans conviction : « Comme j’aime la nature, à l’instar de mon père forestier, je rêvais d’être chasseur de braconniers d’ivoire en Afrique centrale. Aussi, j’ai plaqué la fac pour le 6e RPIMa, l’ancien régiment de Bigeard, qui était le plus susceptible de me former à l’aventure africaine », confie-t-il.
Nous sommes au début des années 90 et ça barde au Cambodge. Est-ce d’être né le 17 février 1968, pendant l’offensive du Têt, qui vit l’entrée des Vietcongs dans Saïgon, ou d’avoir pour ancêtre un soldat qui fit la campagne du Tonkin contre les Pavillons Noirs, toujours est-il que Pierre-Yves se sent des envies d’Extrême-Orient. Il rempile donc pour six mois et se retrouve au Cambodge dans les forces de l’ONU pour y rétablir la paix. Adieu la brousse, bonjour la jungle. « Ce merveilleux pays était alors un Far West, exaltant pour un jeune homme comme moi. Tout y était : des filles belles comme des Apsaras, la liberté, l’amitié, les épreuves, le bruit et la fureur », raconte-t-il.
En 1993, il est démobilisé. Mais, gagné par le mal jaune, il décide de rester sur place, de se marier avec une fille du pays dont il a aujourd’hui deux enfants. Pour vivre, il fait divers métiers : moniteur de ski nautique, journaliste, auteur de guides touristiques (1), capitaine de jonque sur le Mékong…, jusqu’au jour où il pu s’acheter le domaine des Terres Rouges, sa maison de Ban Lung.
C’est là que nous l’avons rencontré, avec d’autres randonneurs, pour inaugurer un nouveau parcours qui pendant huit jours nous mènera jusqu ‘à la frontière vietnamienne, à travers la jungle. Crâne rasé, casquette à la Bigeard, treillis et rangers, Pierre-Yves nous reçoit dans son domaine. (…)
Nous partons le lendemain, à l’aube. Channa et So Phat, deux rangers cambodgiens, ainsi que huit porteurs (dont un ex-Vietcong qui s’est battu contre les Khmers rouges) nous accompagnent. Direction Taveng où nous embarquons dans trois fines pirogues. Nous remontons succesivement la Se San, l’Odambok, l’Otanak. Le soir, accostage dans un pose militaire où nous installons les hamacs. Les jours suivants, marche en forêt, avec passage à gué de rivières, ouverture de chemins à la machette, où, sous un soleil de plomb, les sangsues ne nous laissent aucun répit. Comme la balise GPS ne répond plus, on se dirige à la boussole. Pour améliorer le menu, essentiellement composé de riz et de chipolatas) Sith Coït, le Vietcong, part tous les matins déposer ses filets dans la rivière. Grillé sur un feu de bois, le poisson sera servi avec une salade de fougères, cueillies dans la forêt. Puis nous abordons la piste Ho Chi Minh où nous butons sur des rotors d’hélicoptères américains abattus pendant la guerre du Vietnam. Empreintes de sangliers, de gaurs (espèce de gros buffles sauvages), gibbons sautant d’arbre en arbre, on se croirait dans un roman de Kipling. Soudain la forêt nous renvoie l’écho de hurlements de chiens. Il s’agit de braconniers chassant à l’arbalète.
A la fin du parcours, nous arrivons à Phum Chang, un village jaraï traditionnel : maisons sur pilotis, costume locaux et cimetière animiste. Ce soir, c’est jour de fête, ainsi en a décidé Pierre-Yves. Au menu, un cochonnet, que le Corse Jean-François fait cuire à la façon traditionnelle du maquis. Mêlés aux Jaraï (dont les femmes fument la pipe et les hommes des cigarettes enroulées dans du papier journal), nous buvons à la jarre l’alcool de riz local jusqu’à une heure avancée de la nuit, à la lueur des bougies.
Le lendemain matin, avant de partir, Pierre-Yves, qui est un peu médecin, administre les premiers soins aux malades et distribue aux villageois qui en ont besoin les médicaments qu’il a emportés dans son sac.
Rentré à Ban Lung, je lui demande s’il n’a pas la nostalgie de la France. La réponse est sans appel : « Une chose est sûre, je suis très français et fier de l’héritage de mon pays, mais je pense pas y revivre un jour, tout y est trop étouffant et la liberté n’y est malheureusement plus qu’un mot sur les murs. J’aime la beauté et je crois que c’est ce qui guide toute ma vie et tous mes choix », confie-t-il. Alors que le soleil se couche sur la sylve et que s’élève le chant des paras diffusé par la sono, il me confie : « Etre Breton c’est un état d’esprit, c’est quelque chose qu’on a au fond de soi, c’est vivre ses rêves d’enfant ». A la suite de quoi, il m’invite à aller regarder une cassette vidéo : La 317e section.

Par Pierre Rossion, Mai 2005

(1) Il est l’auteur du « Petit Futé : le Cambodge. »

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