Revue de presse – Angers Femmes
Pierre-Yves Clais, le seigneur des Hauts-Plateaux
Figure majeure de la communauté française du Cambodge, Pierre-Yves Clais s’est établi parmi les tribus montagnardes du Ratanakiri. Portrait d’un Angevin des antipodes.
Au cœur de la jungle cambodgienne se niche un vaste territoire isolé : celui des farouches tribus jaraïs. L’explorateur intrépide qui, après plusieurs journées de marche, parvient à pénétrer dans l’un de ces villages tribaux peut contempler une étrange statue de bois, représentant un homme svelte dont le crâne est surmonté d’une lampe frontale. Cette statue ne représente pas une divinité, mais un protecteur. Le croira-t-on ? le personnage ainsi immortalisé est un Angevin, vivant qui plus est : Pierre-Yves Clais. Né dans notre ville il y a une trentaine d’années, cet Angevin pur sucre y a suivi toute sa scolarité ; lecteur précoce des grands écrivains voyageurs, Lartéguy, Kessel ou Lawrence d’Arabie, il a aussi traîné son ennui, pendant quelques années, sur les bancs de la fac de lettres de Belle-Beille, décrochant brillamment ses diplômes de langues étrangères, mais rêvant de s’évader d’une France qu’il trouvait terne et décidemment trop étriquée. Longtemps, il a rêvé de traverser l’Afrique des grands fauves, de s’immerger parmi les peuples de la brousse pour y rencontrer ces Noubas du Soudan qui fascinaient tant Leni Riefenstahl ; mais le destin lui a offert une toute autre destination. Au-delà de la France et de l’Afrique, une troisième voie s’est ouverte à lui : l’Indochine.
Au service de la paix
Nous sommes en 1992, l’ONU déploie ses couleurs dans un Cambodge déchiré par la guerre civile ; Pierre-Yves, alors engagé chez les parachutistes, est invité à participer à l’opération. Le soldat de la paix échappe aux mines anti-personnelles, aux maladies tropicales et aux raids sanglants des Khmers rouges mais il contracte le « mal jaune » : « Ce pays était alors un Far West, exaltant pour un jeune homme comme moi. Tout y était : des filles belles comme des Apsaras, la liberté, l’amitié, les épreuves, le bruit et la fureur » confie-t-il. Démobilisé, Pierre-Yves choisit de rester, coûte que coûte, dans le royaume khmer. Il le sillonne de part en part et finit par y rencontrer une jeune étudiante francophone, Chenda, qui deviendra sa femme. Résolu, au-delà des inévitables déconvenues, des coups tordus et des troubles politiques, à demeurer dans le pays, il exerce tous les métiers et en dégage une connaissance approfondie. Il propose alors au guide de voyage Le Petit Futé de diriger l’édition cambodgienne : depuis 1993, Pierre-Yves a ainsi assuré les 6 rééditions du guide.
Immense et rouge
C’est sur les terres les plus sauvages du pays, dans le vaste territoire de Ratanakiri qu’il a finalement choisi de s’établir : situés à la frontière du Laos, les hauts plateaux de Ratanakiri, où abondent l’ours malais et le tigre, sont peuplés par des tribus pré-indochinoises dont le mode de vie est resté quasiment inchangé depuis la proto-histoire. On y trouve là des paysages grandioses, des cultures authentiques, mais également des pistes défoncées, une poussière rouge qui vous colle à la peau, des conditions de vie plus rudes qu’ailleurs… Tombé amoureux de ces peuplades isolées mais néanmoins menacées par la déforestation, Pierre-Yves acquiert en 1999 la magnifique demeure de l’ancien gouverneur de la province, qu’il transforme en hôtel de charme. L’endroit s’appelle le Lodge des Terres rouges et ses trois enfants, Jean, Marianne et Scarlett (jolie femelle Dobermann marron et feu), y sont nés. C’est dans ce cadre extraordinaire qu’il accueille les quelques visiteurs qui ne craignent pas de débarquer sur le rustique aérodrome de Baanlung, le chef-lieu du Ratanakiri. Si le lodge propose un hébergement d’un rare standing – les chambres, spacieuses et aérées, s’ornent d’antiquités cambodgiennes et d’objets d’art ethniques ; tandis que le bar de l’hôtel, le « Jaraï jovial », propose toutes sortes d’alcools étonnants (vin de Predappio, alcool de riz, etc.) –, son intérêt réside surtout dans les multiples possibilités offertes aux visiteurs de pouvoir arpenter la province. Les plus téméraires pourront se voir proposer des trekkings au cœur de la forêt tropicale ; les autres pourront se contenter d’une excursion d’une journée dans les villages kroeung situés en périphérie de Baanlung. Soucieux de ne pas bousculer le précaire équilibre des tribus, Pierre-Yves n’est pas du genre à se plier aux pratiques du tourisme de masse. Il sait, mieux que personne, que le mirage du billet vert pourrait être funeste pour la forêt – déjà menacée par les multinationales malaises – et pour des populations aux traditions encore préservées. S’il s’invite dans les villages le plus reculés, c’est toujours avec modestie et sans ostentation. Et les visiteurs à qui Pierre-Yves accorde le privilège de l’accompagner sont invités à faire de même.
Des tribus libertines
Il est étonnant de voir à quel point Pierre-Yves a su se faire accepter des populations de Ratanakiri. Il est aujourd’hui, sans conteste, l’un des meilleurs connaisseurs des tribus montagnardes du Cambodge. Parmi ces dernières, la tribu Kroeung est celle avec laquelle il se sent le plus d’affinités. Il est vrai que contrairement aux Cambodgiens de la plaine, particulièrement pudibonds, les montagnards de l’ethnie Kroeung ont la particularité d’avoir des mœurs très libertaires et un sens aigu du divertissement. Lorsqu’une jeune fille est en âge de prendre époux, son père lui construit ainsi une petite maison en face de la demeure familiale ; la demoiselle est dès lors considérée comme une jeune adulte et libre de recevoir qui elle veut le soir dans sa couche. Les garçons, quant à eux, sont invités à vivre dans des huttes construites sur de très hauts pilotis – les fameuses « maisons de célibataires » –, prouvant ainsi leur habilité et leur courage.
S’il revient parfois passer quelques jours dans notre ville – ne manquant pas d’aller dîner au Shantou, « le meilleur restaurant cambodgien d’Angers » selon lui –, Pierre-Yves a décidé d’entamer une procédure de naturalisation, afin de s’enraciner un peu plus dans le pays khmer. Conscient de vivre dans un environnement menacé de part en part, il a choisi, malgré tout, d’épouser le destin de ces tribus d’hommes libres ; et il aime à citer, dans le silence moite de la forêt tropicale, les mots lyriques d’un autre Angevin, le singulier « poète légumier » Pierre Jokerkriss : « Je resterai là-bas coûte que coûte, transporté en un temps de gloire, là où les femmes sont belles, les hommes balafrés, les destins tragiques et les causes perdues.»
Angers Femmes
Rubrique « étonnants Angevins »